Un texte de Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse publié en 1863.
A. Texte littéraire
Le Baron de Sigognac vient de dîner en compagnie de son domestique Pierre, de son chat Béelzébuth et de son chien Miraut.
Le Baron fit signe à Pierre qu’il voulait se retirer. Pierre, se baissant au foyer, alluma un éclat de bois de pin enduit de résine, sorte de chandelle économique qu’emploient les pauvres paysans, et se mit à précéder le jeune seigneur ; Miraut et Béelzébuth(3) se joignirent au cortège : la lueur fumeuse de la torche faisait vaciller sur les murailles de l’escalier les fresques(4) pâlies et donnait une apparence de vie aux portraits enfumés de la salle à manger dont les yeux noirs et fixes semblaient lancer un regard de pitié douloureuse sur leur descendant.
Arrivé à la chambre à coucher fantastique […], le vieux serviteur alluma une petite lampe de cuivre à un bec dont la mèche se repliait dans l’huile comme un ténia dans l’esprit-de-vin à la montre d’un apothicaire(5), et se retira suivi de Miraut. Béelzébuth, qui jouissait de ses grandes entrées, s’installa sur un des fauteuils. Le Baron s’affaissa sur l’autre, accablé par la solitude, le désœuvrement et l’ennui.
Si la chambre avait l’air d’une chambre à revenants pendant le jour, c’était encore bien pis le soir à la clarté douteuse de la lampe. La tapisserie prenait des tons livides, et le chasseur(6), sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. Il ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore sur son visage pâle. On eût dit une bouche de vampire empourprée de sang.
La lampe saisie par l’atmosphère humide grésillait et jetait des lueurs intermittentes, le vent poussait des soupirs d’orgue à travers les couloirs, et des bruits effrayants et singuliers se faisaient entendre dans les chambres désertes. »
B. Image
Photo du film La Belle et la Bête réalisé par Jean Cocteau, 1946
1ère partie :
Compréhension et compétences d’interprétation (32 points)
1. Dans quels lieux précis et à quel moment de la journée se déroule la scène racontée ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte. (4 points)
2. a) Expliquez l’expression « la mélancolique solitude du château » à la ligne 6. (2 points)
b) Justifiez votre explication en vous appuyant sur la construction et le lexique de la phrase qui suit (lignes 6 à 11). Trois éléments précis de réponse sont attendus. (3 points)
3. Dans le quatrième paragraphe (lignes 24 à 29), quel phénomène se produit le soir ? Comment se déclenche-t-il ? Pour répondre, appuyez-vous sur deux procédés d’écriture que vous analyserez. (6 points)
4. L’auteur qualifie la chambre à coucher de « fantastique » à la ligne 19. Quels éléments contribuent à installer cette atmosphère à partir de la ligne 14 du texte ? On attend un développement qui prend appui notamment sur le lexique (en particulier sur les adjectifs et les adverbes) et les comparaisons. (6 points)
5. Quels sentiments ce récit éveille-t-il chez le lecteur ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur au moins trois éléments précis du texte. (5 points)
6. Quels liens pouvez-vous établir entre le photogramme proposé et le texte ? Appuyez-vous notamment sur les effets de lumière dans ce photogramme et dans le texte. Des éléments descriptifs de l’image et des citations précises du texte sont attendus. (6 points)
Grammaire et compétences linguistiques (18 points)
7. « et le chasseur, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. » (lignes 26-27).
a) Par quel verbe peut-on remplacer le verbe « devenait » ? (1 point)
b) Quelle fonction du groupe souligné pouvez-vous ainsi identifier ? (1 point)
8. « la lueur fumeuse de la torche […] donnait une apparence de vie aux portraits enfumés de la salle à manger dont les yeux noirs et fixes semblaient lancer un regard de pitié douloureuse sur leur descendant. » (lignes 15-18)
Relevez les trois expansions du nom « portraits » et précisez leur nature (ou classe grammaticale). (6 points)
9. « La tapisserie prenait des tons livides, et le chasseur, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. Il ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore […] » (lignes 25-28) (10 points)
Réécrivez ce passage en remplaçant « le chasseur » par « les chasseurs ». Effectuez toutes les modifications nécessaires.
La dictée ici : https://arabe-facile.com/dictee/
2ème partie : Travail d’écriture (rédaction)
Vous traiterez à votre choix l’un des sujets suivants :
Sujet d’imagination
Décrivez la promenade du Baron de Sigognac à la tombée de la nuit dans le sinistre jardin du château.
Vous conserverez l’atmosphère du texte de Théophile Gautier. Vous préciserez les éléments du paysage qui contribuent à cette atmosphère.
Sujet de réflexion
Aimez-vous découvrir des oeuvres littéraires et artistiques dans lesquelles interviennent le surnaturel ou l’étrange?
Le choix du texte fait appel aux connaissances des élèves acquises sur le registre fantastique,
qui correspond à la deuxième année du cycle 4, c’est-à-dire au programme de 4ème
Travail sur le texte littéraire et l’image
2.a) L’expression attribue des caractéristiques humaines (« la mélancolique solitude ») à un bâtiment inerte (« le château ») qui se trouve ainsi personnifié. Il s’agit en réalité de « la mélancolique solitude » des habitants du château complètement vide.
7.a) On peut remplacer le verbe « devenait » par le verbe être (« était ») ou d’autres verbes d’état tels que « paraissait », « semblait ».
Dictée
On relève deux accords sujets-verbes complexes, car les verbes sont éloignés de leur sujet : « ses rayons, qui venaient », « Des chouettes […] dessinaient ».
Il était précisé que le narrateur est un homme, ce qui doit guider certains accords : « j’en étais averti », « relégué ».
Des déterminants indiquent l’accord au pluriel du nom auquel ils sont associés : « quelques étoiles », « ses rayons », « des carreaux », « mes rideaux », « des galeries », « des ténèbres », « des plaintes », « les souterrains », « des mugissements », « ces bruits ».
Les adjectifs et participes s’accordent en genre et en nombre avec le nom qu’ils qualifient : « des carreaux losangés », « à pas légers », « ma porte était ébranlée ».
En revanche, les participes présents sont invariables : « voletant », « passant et repassant ».
Certains verbes sont à l’infinitif, car ils dépendent d’un autre verbe (« le vent semblait courir », « il laissait échapper ») ou d’une préposition (« pour recommencer »).
Le déterminant possessif « leur/leurs » reste au singulier si les possesseurs se partagent un même objet, il est au pluriel lorsque chaque possesseur a plus d’un objet. Ici, les chouettes ont chacune deux ailes, donc « leurs ailes ».
Attention aux homophones, et notamment à « ses »/« ces ».
Rédaction
” Bien que le Baron ait éteint sa lampe depuis quelques heures à présent, la pleine lune projetait sur les hauts murs des ombres de géants qui s’agitaient comme possédés, tandis que le vent continuait de pousser ses longs soupirs d’orgue à travers les couloirs. Pourtant accoutumé à cette ambiance sinistre, le Baron ne parvenait pas à trouver le sommeil cette nuit-là. Il revêtit sa longue robe de chambre pourpre, sortit de sa chambre, longea les couloirs et descendit les grands escaliers de marbre froid pour se retrouver sur la terrasse du château.
De là, le regard embrassait l’ensemble du parc : coloré et ordonné le jour, il semblait à présent une étendue sauvage d’aplats aux nuances obscures. Le vent agitait les bosquets qui prenaient alors l’apparence d’une mer déchaînée. Des éclairs déchiraient le ciel et on entendait au loin les grondements sourds de l’orage. Le Baron quitta la terrasse et s’avança entre les statues de nymphes et de muses qui avaient à présent l’apparence de harpies assoiffées de sang. Les fontaines éteintes et vides étaient envahies d’un lierre abondant qui semblait glisser jusqu’à ses pieds tels une multitude de longs serpents. Un frisson le parcourut : il connaissait bien ces jardins, aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait arpenté ces allées à la main de sa mère ou au bras d’un cousin, et pourtant, à présent, il lui semblait qu’il les découvrait pour la toute première fois.
Il emprunta un petit chemin et s’enfonça plus avant dans un petit bois qui longeait le parc. Les rayons de la lune se faisaient plus ténus au travers des branches denses et feuillues des grands chênes centenaires. Le Baron distinguait à peine le chemin qu’il empruntait et se fiait à son intuition et à sa connaissance des sentiers. Le vent dans les arbres hurlait et diffusait un froid qui lui glaçait les membres. Il noua sa robe qui flottait autour de lui et serra ses bras autour de son torse, comme pour se rassurer. Aux abords de l’étang, qui prenait à présent des airs de marécage nauséabond, un épais brouillard s’amassait qui troublait davantage encore sa vision. Il contournait l’étendue d’eau, lorsqu’un craquement soudain se fit entendre. Le Baron se retourna et crut voir passer l’ombre furtive d’un spectre. Quelqu’un le suivait-il ? Était-il la proie des furies de la terrasse ? Terrifié, il retourna sur ses pas, croyant emprunter le chemin qui l’avait amené jusqu’ici, mais s’engagea en réalité sur un autre sentier. Il pressa le pas, tournant par instant son regard derrière lui pour s’assurer que quelque créature ne le suivait pas.
Progressant à présent à l’ouest du parc, il tomba sur une clairière parfaitement éclairée par la lueur fantomatique de la lune, au milieu de laquelle trônaient les vestiges de ce qui avait dû être un petit pavillon de chasse. On devinait les vieux murs en ruine sous la végétation dense qui avait depuis longtemps recouvert les restes du bâtiment. Un sentiment étrange envahit le Baron qui n’avait jamais vu cet endroit. Il crut sentir une présence lorsqu’un cri déchira la nuit. Son esprit lui jouait-il des tours ? Ou était-ce quelque ancêtre qui lui hurlait de fuir ces lieux ? Était-ce le spectre de l’étang qui l’avait poursuivi, ou les harpies des allées ? Paniqué, il recula en hâte, puis se retourna et se mit à courir dans le dédale des chemins du bois qui le conduisirent, au hasard et bien malgré lui, aux allées principales menant à la terrasse du château. Haletant, il s’appuya contre une balustrade pour reprendre son souffle. Son cœur battait la chamade. Le Baron ne percevait plus que le grondement de l’orage au loin et les battements de son cœur. Il tourna à nouveau son regard vers le parc : le vent soufflait de grandes bourrasques et la végétation roulait en vagues compactes. Il était seul et pourtant, il sentait une présence tout autour de lui, comme si les fantômes de sa promenade l’avaient poursuivi jusqu’au perron de la grande bâtisse. Il pénétra dans le salon et reprit son souffle avant de monter en hâte dans sa chambre, sans regarder derrière lui, comme si les ombres du jardin le suivaient encore. Il se coucha et chercha en vain à trouver le sommeil jusqu’au petit matin, lorsque le parc reprit, sous les premiers rayons du soleil, son apparence chatoyante.”
” Les œuvres dans lesquelles interviennent le surnaturel et l’étrange sont depuis longtemps à la mode : avec les contes et les légendes, avec les romans et nouveaux fantastiques au xixe siècle et, aujourd’hui encore, en littérature toujours, mais aussi au cinéma ou même dans les jeux vidéo ou les jeux de société. Quelles sont les raisons d’un tel engouement ?
Tout d’abord, les œuvres dans lesquelles interviennent le surnaturel ou l’étrange permettent d’éprouver la peur tout en sachant que l’on ne risque rien. En effet, quoi de plus grisant que se plonger dans un univers angoissant et d’éprouver un frisson depuis son canapé, sans aucun danger réel ? Ainsi, en lisant la nouvelle La Cafetière de Théophile Gautier, nous nous plongeons dans les pensées du narrateur et partageons ses angoisses et ses doutes. Il en va de même pour certains films qui nous plongent dans des univers sombres et inquiétants. Dans Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, on vit ainsi les épreuves surnaturelles et angoissantes de la jeune héroïne.
Par ailleurs, on découvre, dans ces œuvres étranges et surnaturelles, des personnages imaginaires et fascinants, tels que Dracula dans le roman éponyme de Bram Stocker, ou même des personnages aux capacités surnaturelles, que nous aimerions avoir nous aussi, comme dans Harry Potter de J. K. Rowling. Nous nous identifions alors à ces héros, vivant ainsi des aventures hors du commun qui nous sortent de notre quotidien parfois un peu banal. L’univers fantastique de ces œuvres confronte les personnages à des obstacles incroyables face auxquels les personnages font preuve d’un courage que nous aimerions avoir.
Enfin, ces œuvres sont souvent le lieu d’un véritable suspens. En effet, les œuvres dans lesquelles l’étrange intervient, et notamment les œuvres fantastiques, jouent sur la subjectivité du personnage principal, qui est d’ailleurs souvent le narrateur, afin de faire douter le lecteur ou le spectateur. Ainsi, dans Le Horla de Guy de Maupassant, le narrateur sent auprès de lui la présence d’un être invisible et partage ainsi ses angoisses qui le poussent finalement au suicide. À la fin, le lecteur ne sait plus si ce qui lui a été raconté est réel ou le fruit de la folie du narrateur. De même, dans le film Les Autres d’Alejandro Amenábar, on comprend finalement que les personnages, qui croyaient leur maison hantée, sont en réalité eux-mêmes les fantômes qui occupaient les lieux depuis le début. Cette chute saisissante nous surprend et nous engage à réinterroger la totalité du film.
En conclusion, les œuvres dans lesquelles le surnaturel et l’étrange nous plongent dans un univers totalement à part, qui provoque un frisson agréable, nous sortent ainsi d’un quotidien parfois monotone. C’est pour ces raisons que j’aime ce type d’œuvres à part qui procurent un véritable plaisir, là où des œuvres réalistes ancrent davantage dans la vie et donnent à réfléchir. ”